Les confréries

Confraternité San Marcu, Corscia (2024)

Photo © Diadora Dolfi.

Les confréries, associations dont les statuts sont approuvés par l’autorité canonique, émergent en Italie au XIIIe siècle. Bien qu’initiées par des laïcs, elles sont reconnues par l’Église. Elles font leur apparition en Corse au XVe siècle. À cette époque, les autorités ecclésiastiques ne leur imposent aucun cadre spécifique. Au XVIIIe siècle, elles sont particulièrement nombreuses et influentes sur l’Île, jouant un rôle important dans l’accompagnement de la liturgie. Leur fonctionnement repose sur les cotisations des membres, des dons et les paiements pour leurs services, notamment les obsèques. Outre leurs activités religieuses, ces confréries prêtent parfois de l’argent sans intérêt aux membres en difficulté et interviennent pour résoudre des conflits commerciaux ou de location, grâce à leur gestion autonome.

En 1792, elles sont interdites en France. Cependant, en 1801, avec la signature du Concordat entre l’État et le pape, ces structures renaissent avec force. Elles déclinent à nouveau après la Première Guerre mondiale, affaiblies par les lourdes pertes humaines, mais elles réapparaissent après la Seconde Guerre mondiale en s’adaptant à l’époque moderne. Aujourd’hui, certaines d’entre elles sont devenues mixtes, accueillant hommes et femmes.

Ces confréries avaient pour objectif d’atténuer les souffrances des périodes d’instabilité et de crise qui les ont vues naître. Elles jouaient un rôle crucial en apportant soutien et solidarité lors de famines et de pandémies. Les membres, appelés frères, incarnaient un soutien social inestimable, un rôle qui reste essentiel de nos jours. Le Concile de Trente et l’évolution des temps modernes ont renforcé, par le texte, l’affirmation de leur dimension religieuse, notamment au sein des confréries héritant de la tradition franciscaine. 

« Nourrir ceux qui ont faim, abreuver ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, visiter les malades et les prisonniers, accueillir les étrangers » : tel était le vaste « programme » des devoirs acceptés par les frères. À cela s’ajoutait la charge des messes mortuaires, particulièrement précieuses lorsque le clergé, débordé, ne pouvait répondre à la multiplication des décès !

Partenaires de l’église, les confréries devaient disposer d’un oratoire (en réalité souvent une véritable chapelle) pour pouvoir exister et agir.

Certaines sont allés jusqu’à fonder des hôpitaux, comme la confrérie de l’oratoire Saint-Jean-Baptiste à Ajaccio qui est à l’origine de l’hôpital de la Miséricorde. D’autres correspondaient spécifiquement à des métiers telle que celle des « Bombardiers et Canonniers » de Bastia, ou à une tranche d’âge comme la confrérie des écoliers ou celle des adolescents de Saint-Roch (à Bastia également). Il existait même des confréries de prêtres.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, elles ont commandé aux grands maîtres baroques italiens des statues et tableaux, contribuant ainsi au patrimoine religieux corse.

En général, de bonnes relations régnaient entre frères. Mais des dissentions existaient parfois jusqu’à provoquer des bagarres mémorables, telle celle de 1588 ayant opposé les membres de la confrérie de la Sainte-Croix à Bastia. Génois et Corses s’en disputaient alors les titres honorifiques. Les insultes fusaient et les coups pleuvaient jusqu’à provoquer de graves blessures. La confrérie se scinda alors. Ainsi naquirent les confréries de Saint-Roch et de l’Immaculée Conception, majoritairement corses. Elles avaient pour but d’effacer la génoise Sainte-Croix (en vain). La course au plus bel oratoire fit rage durant les décennies suivantes. Lors des processions à Bastia, des luttes inter-confréries surgirent pour des questions de préséances. Tant et si bien qu’en 1744 le gouverneur Pier Maria Giustiniani imposa la présence de 25 soldats par procession et par confrérie !  De moindres incidents perdurèrent jusqu’au XIXe siècle…

De nos jours environ 100 confréries existent dans l’Île de Beauté, profondément ancrées dans la culture insulaire, fortes de 4000 frères (pour 50 prêtres) et nous assistons à un renouveau soutenu. Les deux-tiers sont actives en Haute-Corse. Elles contribuent fortement à endiguer la désagrégation du tissu social, surtout dans le rural, et font partie intégrante de l’identité corse en soulignant les particularismes des villages et des quartiers. Les confréries sont ici de puissants vecteurs mémoriels transmettant les traditions dont l’élan est unique en France.

Confraternité San Marcu, Corscia (2024) - Photo © Diadora Dolfi.

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